Dans un environnement de plus en plus normé, automatisé, frictionless... le véritable facteur de différenciation ne se joue plus sur la fluidité des parcours. Il se joue dans la mémoire laissée par l’expérience. Lors du One to One Retail E-Commerce, un atelier a mis en lumière une tendance qui résonne avec acuité : l’essor des sciences comportementales dans la conception des parcours client. Et si le retail de demain s’écrivait aussi en psychologie ?
Animée par Fanny Auger, experte de l’art de la conversation et auteure, et Étienne Bressoud, Deputy General Manager chez BVA Nudge Consulting, la session a posé une question essentielle : pourquoi les clients n’agissent-ils pas toujours comme on l’espère, même lorsqu’ils en ont l’intention ? La réponse tient dans un mot : le nudge. Ce "coup de pouce", issu de la recherche comportementale, vise à encourager sans contraindre. Concrètement, le nudge vient soutenir les intentions déjà présentes chez le client, en l’aidant à passer à l’action là où, bien souvent, il remet à plus tard, oublie… ou abandonne sans vraiment le vouloir.
Mais le nudge n’est que la partie visible. Derrière, il y a une science — ou plutôt un socle de disciplines : psychologie cognitive, neurosciences, sociologie — mobilisées pour designer des environnements favorables aux bons comportements. En retail, cela signifie penser les parcours non seulement comme des suites d’étapes fonctionnelles, mais comme des séquences émotionnelles, marquantes et engageantes.
C’est là qu’intervient Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel d’économie 2022, qui a démontré que la mémoire d’une expérience ne repose pas sur l’ensemble du parcours, mais sur deux moments-clés : le pic et la fin. Cette "Peak-End Rule" redéfinit la manière dont les marques doivent penser leurs points de contact. Il ne s’agit plus seulement de réduire les irritants, mais de concevoir délibérément des moments forts, émotionnels, inattendus, et surtout mémorables. Car la mémoire d’une expérience passée construit le comportement de demain.
Pour structurer cette approche, le modèle EPIC (Élévation, Pride, Insight, Connection) inspiré des travaux des frères Heath, agit comme un guide opérationnel. Ce cadre permet aux marques d’évaluer et d’enrichir leurs parcours : surprendre, valoriser, éveiller la curiosité, créer du lien. Plus ces dimensions sont combinées, plus le NPS progresse. Plus l’expérience devient mémorable, plus elle transforme.
Les exemples partagés lors de l’atelier ont illustré cette mécanique. Une marque qui transforme un mail d’acceptation de prêt en message de félicitations active la fierté. Air France embarquant l’Opéra de Paris sur un vol crée une élévation. Un conseiller EDF qui contextualise avec empathie la consommation du client ? C’est de la connexion. Derrière chacun de ces moments se cache une intention de design comportemental.
Pourquoi est-ce crucial en 2025 ? Parce que le retail vit une double tension : les canaux se standardisent, les technologies se généralisent… et l’attention des clients devient volatile. Face à cette banalisation, les marques doivent cultiver des expériences émotionnelles différenciantes, qui engagent sans manipuler, qui laissent une trace. Les sciences comportementales ne sont pas un gadget marketing, mais un outil stratégique au service de la fidélité, de la recommandation, et de la performance relationnelle.
Ce n’est pas une affaire de budget, mais de posture. Comme l’ont souligné Fanny et Étienne, même un call center ou un email transactionnel peut devenir un espace d’impact si l’on se donne les moyens de le penser autrement. En ce sens, le nudge devient un levier de pilotage du design de service, une manière de passer d’un parcours optimisé à un parcours incarné.
Alors que l’IA générative transforme la production de contenu, et que les modèles prédictifs façonnent les offres, l’approche comportementale rappelle une vérité essentielle : ce qui fidélise un client, ce n’est pas ce qu’il reçoit, c’est ce qu’il ressent. Et dans cette bataille de la mémoire émotionnelle, le nudge n’est pas un détail. C’est un levier de leadership.
