Qu’est-ce que diriger une entreprise aujourd’hui ? Un travail de précision ou une prise de risque permanente ? Dans un monde où les crises se suivent sans se ressembler, où l’imprévu devient quotidien, le rôle du leader est en pleine redéfinition.
C’est autour de cette question, à la fois concrète et vertigineuse, qu’a eu lieu la conférence « Le leadership dans la tempête : développer des stratégies anti-fragiles dans un monde devenu imprévisible » lors du One to One Retail E-Commerce. Violette Bouveret, fondatrice de Mecylium, spcialisée dans la prise de décision en situation de crise, dialoguait avec Romain Roy, fondateur de Greenweez, autour d’un enjeu devenu vital pour les entreprises : comment ne pas seulement résister face à l’incertitude mais en tirer profit ?
Quand le chaos n’est plus l’exception
Les dirigeants d’aujourd’hui ne font pas que traverser des crises : ils naviguent dans ce que l’on pourrait appeler un état de permacrise. Concurrence déloyale, risques de cyberattaques, chocs réglementaires, mutations géopolitiques et technologiques … Le commerce, et tout particulièrement le e-commerce, fait désormais face à un environnement polycrisique.
Les crises qui préoccupent Romain Roy sont l’urgence écologique, la concurrence internationale déloyale, et la tension sur le pouvoir d’achat. « Le monde est devenu plus brutal, plus rapide », résume-t-il avec une franchise désarmante. Et dans ce contexte, il faut bien plus qu’un business plan à cinq ans pour tenir le cap.
Antifragilité : une philosophie d’entreprise, pas un mot à la mode
Pour Violette Bouveret, ce monde instable est un appel non pas à la résilience – la capacité à encaisser les chocs – mais à devenir anti-fragile, c’est-à-dire à tirer profit des chocs. Qu’est-ce que l’antifragilité, ce concept popularisé par l’essayiste Nassim Nicholas Taleb ?
Violette Bouveret le définit simplement :
« La fragilité, c’est Thomas Cook. Le choc du Covid l’anéanti. La résilience, ce sont les grandes banques françaises face aux fintechs. Elles perdent des flux mais leur assise financière leur permet de tenir le choc. L’antifragilité, c’est notre corps qui devient plus résistant à chaque fois que nous faisons du sport. En e-commerce, c’est Shein qui tire profit de la volatilité des attentes des clients en développant des modèles prédictifs et une capacité de production assortie. »
Chez Greenweez, cette idée n’est pas restée théorique puisque l’entreprise a décidé de réinventer son modèle pour devenir entreprise à mission. Elle s’est incarnée dans une démarche profonde : reformuler la mission de l’entreprise, en impliquant l’ensemble des collaborateurs. « Mieux consommer pour rendre le monde meilleur » est devenu plus qu’un slogan : un repère partagé.
Structurer l’agilité : s’inspirer du militaire pour renforcer le collectif
Le chaos appelle l’agilité mais cette dernière nécessite un cadre. Romain Roy confie s’être inspiré du monde militaire pour structurer le travail de ses équipes. Brief de mission, back-brief, répétitions, débriefs… Ces rituels permettent à chacun de comprendre son rôle et d’agir avec lucidité dans l’incertitude. « Ce qui rend l’organisation plus agile face à l’imprévu, c’est la clarté de la mission et la capacité de chaque membre à s’y situer. » explique-t-il. Violette Bouveret a rappelé l’importance de la subsidiarité, la prise de décision au plus proche de l’action, comme levier d’anti-fragilité.
Ce n’est donc pas une rigidité imposée, mais un cadre partagé, qui donne de l’autonomie sans créer le flou. C’est aussi ce qui rend possible la prise d’initiatives locales — essentielles en période de turbulence.
Décider sans certitude, mais avec conviction
Le cœur du leadership en temps de tempête, c’est la décision. Pas le choix — qui suppose un ensemble connu d’options — mais bien la décision, cet acte d’engagement sans toutes les garanties.
« Décider, c’est avancer dans l’incertitude, avec courage », insiste Violette Bouveret. Et cela suppose d’accepter que les repères changent, que les plans doivent être ajustés, que l’on n’aura jamais toutes les données en main.
C’est dans cette capacité à s’engager malgré l’ambiguïté que se joue, selon les deux intervenants, la vraie différence entre un leadership classique… et un leadership antifragile.
Cultiver l’écosystème : ouvrir le cercle, même aux concurrents
Autre levier souvent sous-estimé : l’écosystème. Dans un monde complexe, personne ne peut réussir seul. Chez Greenweez, cette conviction va jusqu’à inclure des concurrents dans le comité de mission.
Un choix étonnant ? Peut-être. Mais il reflète une stratégie ouverte : chercher l’enrichissement mutuel, plutôt que le repli. Et c’est aussi une manière de casser les silos, de nourrir des débats, de faire émerger des solutions qui n’auraient jamais été envisagées autrement.
« Ce qui tue une organisation, ce n’est pas le désaccord. C’est le consensus mou ou le silence. » rappelle Violette Bouveret.
Et maintenant ?
Ainsi, dans un monde devenu imprévisible, la capacité à se reconfigurer l’emporte sur la prévision.
Résister ne suffit plus. Ce qui compte désormais, c’est la capacité à se structurer pour rebondir, à décider sans avoir toutes les réponses, à s’appuyer sur l’intelligence collective, et à s’ancrer dans une raison d’être suffisamment forte pour garder le cap dans le brouillard.
Parce que finalement, l’enjeu n’est pas d’éviter la tempête — mais d’apprendre à naviguer avec elle. Et, pourquoi pas, d’en faire un moteur de transformation durable.